Erika Lust : « Si vous refusez de parler de sexe et de porno à vos enfants, vous n’êtes pas prêt à être parent

Voici bien l’un des paradoxes les plus saisissants de notre époque : jamais la pornographie n’a été si facilement accessible ; pourtant, jamais les jeunes n’ont paru si éloignés de leur propre intimité. La journaliste américaine Carter Sherman, fine observatrice des mutations de genre au Guardian, l’a récemment démontré avec une implacable précision : cette génération Z que l’on croyait hypersexualisée traverse en réalité une « récession sexuelle » d’une ampleur inédite. Un quart de ses membres adultes n’a jamais connu de rapport charnel, la masturbation elle-même s’étiole, tandis que l’anxiété, l’isolement et le manque de confiance paralysent ceux qui voudraient franchir le pas.

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Face à cette désolation contemporaine, la célèbre réalisatrice suédoise Erika Lust, 51 ans, dresse un constat d’une lucidité tranchante. Cette femme qui, depuis vingt ans, s’emploie à révolutionner l’industrie pornographique par une approche éthique et artistique – démarche qui vient de lui valoir un Vanguard Award aux Euro XBIZ XMAs 2025 d’Amsterdam – ne mâche pas ses mots : « Depuis l’arrivée du smartphone, les jeunes passent moins de temps à l’extérieur. Tout contact est déconnecté. » Diagnostic implacable d’une époque où la virtualité a phagocyté le réel, où l’écran s’est substitué à la chair. Entretien avec une pionnière qui s’attaque à un tabou : réconcilier la pornographie et l’humain.

Le Point : De nombreuses études suggèrent que l’activité sexuelle et la masturbation sont en déclin chez les jeunes alors même que la pornographie et les sextoys n’ont jamais été aussi accessibles. Selon vous, quels sont les principaux facteurs à l’origine de cette évolution ?

Erika Lust : On observe une tendance claire : depuis l’arrivée du smartphone, il y a environ 18 ans, les jeunes passent beaucoup moins de temps à l’extérieur, en soirée ou avec leurs amis. Ils jouent sur des applis plutôt que dans la rue, sortent moins, et leurs relations passent de plus en plus par des écrans. Cela touche évidemment à leur sexualité : certains échanges intimes deviennent virtuels – on parle là de cybersexe, de « petites amies » générées par l’intelligence artificielle… Et les rencontres se transforment avec les applis et les réseaux. Tout contact est déconnecté.

La pornographie, elle, a toujours existé sous diverses formes. Mais l’explosion des sites « tubes », il y a une quinzaine d’années, a marqué un tournant : elle est devenue gratuitement disponible pour tous, et sans régulation. Donc il est normal que les adolescents aient dans leur tête des idées sexuelles qu’ils n’oseraient pas explorer dans la vie réelle : peut-être par peur de la réalité, par peur des relations avec les autres ou même par peur de leur propre sexualité. Après, la révolution numérique n’est pas uniquement négative. Certes, elle modifie nos pratiques, fragilise certains liens, mais elle ouvre aussi des espaces essentiels d’échange et de soutien pour les minorités.

Les jeunes ne seraient pas surchargés de stimulations sexuelles, au point d’en être paralysés ?

C’est évident. Il serait bénéfique de se déconnecter quelques jours par semaine pour se reconnecter à son corps, à la réalité, à ses amis et à sa famille. Et ça inclut la sexualité : pas seulement l’acte sexuel, mais aussi l’érotisme, le plaisir, la conscience de soi dans le corps et les sensations.

À 12 ans, près d’un enfant sur trois a déjà été exposé à la pornographie. À cet âge, leur premier contact avec la sexualité passe de fait par la pornographie…

La faute revient à ces plateformes qui l’ont rendue gratuite et accessible à tous… Au début, personne ne parlait des conséquences, parce que la sexualité reste un sujet honteux et stigmatisé. Aux États-Unis, au lieu d’investir dans une vraie éducation sexuelle, certains ont financé des programmes d’abstinence qui ont creusé les insécurités identitaires, fait baisser l’usage du préservatif et augmenté les grossesses adolescentes, limitant la capacité des femmes à décider de leur corps. Et le porno dominant aujourd’hui est souvent une version violente et sexiste du sexe, où le plaisir féminin est puni.

Si l’on met à part le porno trash du reste, on constate qu’il n’y a généralement aucun dialogue dans la plupart des vidéos : l’absence de parole est ritualisée, comme si la « télépathie du désir » suffisait.

(Rires.) Ce n’est pas anodin ! Et c’est très récent. Le porno des années 1960-1970 était souvent plus artistique, plus narratif, avec des personnages et des histoires. C’était un produit de mouvements libéraux qui questionnaient la société conservatrice. Derrière, beaucoup de tech bros sont venus pour l’argent, sans intérêt pour la diversité, le consentement ou le plaisir, pour le réduire à ce qu’on voit aujourd’hui : un format « TikTok » de vidéos très courtes, des snacks visuels qu’on ne peut même plus appeler des films.

Il n’y a plus de place pour le dialogue, le développement ou l’expression artistique. Le langage est devenu de plus en plus extrême et de moins en moins poétique : on passe à des énoncés crus du type « deux grosses bites noires et quatre chattes sur un canapé » et on a l’impression que les algorithmes lisent et renforcent ce type de contenu.

Or un porno éthique demande plus de moyens : prendre le temps de connaître les limites des performeurs, coordonner les scènes d’intimité, impliquer des femmes derrière la caméra, avoir une vision artistique. C’est ce que nous avons construit en vingt ans : une communauté de performeurs, de techniciens et d’artistes qui partagent ce projet. Mais ce n’est pas pour tout le monde : si vous cherchez juste quatre minutes pour jouir, vous ne trouverez peut-être pas ce que vous attendez. D’ailleurs, certains disent que je ne fais « pas vraiment du porno », parce qu’une fois qu’on enlève l’élément sexiste et misogyne beaucoup d’hommes ne reconnaissent plus ça comme de la pornographie.

Dans son livre Les Cobayes, la journaliste française Justine Briquet-Moreno explique que certains adolescents garçons lui ont confié penser qu’étrangler une partenaire serait « normal ».

C’est ce qui se passe quand un certain type de porno dominant devient mainstream : on te raconte toujours la même histoire, la même interaction, sans aucun dialogue autour. Bien sûr, certaines personnes y trouvent du plaisir et savent poser leurs limites pour pratiquer ces sexualités sans honte.

Le problème survient lorsqu’un modèle devient normatif, sans discours critique ni mise en perspective. Les jeunes sans culture médiatique ni éducation sexuelle finissent par croire que « c’est comme ça » que ça doit se passer. Cela influence leur vision d’eux-mêmes et leur rapport au genre. Si tout ce qu’on me donne à voir est cette masse énorme de porno dominant, je finis par croire qu’en tant qu’homme ou qu’en tant que femme j’ai un rôle prédéfini. Alors qu’en réalité je pourrais tenir n’importe quel rôle ! Mais, pour le penser, encore faut-il avoir une éducation de genre et comprendre les rapports de pouvoir, y compris dans la pornographie.

Depuis #MeToo, on entend souvent dire que demander le consentement casserait « le moment » ou « l’ambiance sexuelle ». Est-ce un mythe ?

Bien sûr ! Il n’y a pas de moment possible sans conversation sur le consentement. Personne ne lit dans les pensées. Mais il faut aussi rester lucide : le consentement est complexe. Quand on a commencé à en parler publiquement, on insistait sur l’enthusiastic consent (c’est-à-dire l’idée qu’il fallait manifester un « oui » clair, enthousiaste et explicite, par exemple crier « oui, oui, je le veux »). En réalité, le consentement est plus subtil : il s’apprend, il demande d’écouter les mots, mais aussi de lire le langage corporel, de sentir l’état émotionnel de l’autre. C’est un véritable apprentissage. Dans mon équipe, par exemple, nous travaillons depuis des années à mieux comprendre ces dynamiques de pouvoir et ces situations. Sur un tournage, tout dépend de la personne avec qui je travaille : est-ce qu’elle se sent assez en confiance pour dire à 100 % ce qu’elle veut ? Si je n’en suis pas consciente, cela peut créer des déséquilibres. Et c’est pareil dans toute relation.

Dans l’intimité, c’est quand vous connaissez quelqu’un et que vous lui faites confiance que vous osez vraiment communiquer ce que vous désirez. Mais, dans la vie de tous les jours, vous consentez aussi très souvent à des choses que vous ne voulez pas vraiment. Cela arrive tout le temps. Par exemple, chez votre mère, si elle a cuisiné une tarte et que vous n’avez pas envie d’en manger, est-ce que vous allez lui dire non ? Non, vous la mangez quand même. On le fait par politesse, parfois par peur, parfois par intérêt, pour toutes sortes de raisons. Mais il faut en être conscient. La seule façon de lire l’autre, de comprendre les rapports de pouvoir en jeu, est de chercher à communiquer de la manière la plus honnête et la plus sûre possible. Combien de jeunes filles ont des rapports sexuels avec leur petit ami sans en avoir vraiment envie mais parce qu’elles se sentent poussées à le faire ?

En interrogeant des étudiants sur leurs expériences, la sexothérapeute Charline Vermont a découvert que beaucoup de victimes de rapports sexuels forcés n’en avaient pas conscience. Selon elle, le taux réel de femmes concernées grimperait ainsi de 37 à 75 %. Qu’est-ce que cela révèle, selon vous, de notre rapport au consentement ?

Cela montre à quel point la sexualité est complexe, pleine d’émotions, de zones grises, d’incertitudes. Plus on pratique la communication et l’expérience, plus on devient capable de mieux vivre sa sexualité, mais ce n’est jamais simple : il y aura des blessures, des trahisons, des déceptions. Avec la montée du polyamour, par exemple, beaucoup se lancent sans stabilité émotionnelle, et des gens souffrent. D’où l’importance non seulement de parler avant et pendant l’acte, mais aussi de penser à « l’après », au soin apporté à l’autre.

Sur les tournages, il arrive que les scènes aient été préparées dans le respect, avec une vraie discussion en amont. Les performeurs sont des pros, ils savent poser leurs limites, négocier, communiquer. Pourtant, ils sont toujours jugés à tort. On pense encore que les gens du porno sont « cassés », qu’ils n’ont pas eu le choix, qu’ils viennent de situations horribles. C’est faux.

En réalité, l’industrie du porno est souvent plus transparente que la musique, la mode ou Hollywood : ici, tout est contractualisé et discuté à l’avance. Mais, comme la société stigmatise cette industrie, on la considère comme « sale », on ne la commente pas, on la met à l’écart. Pourtant, elle gagnerait à être plus visible et transparente.

Est-ce réellement possible ?

C’est difficile. Depuis vingt ans, on voit émerger une autre dynamique : le porno indépendant, avec de nouvelles voix, de nouvelles représentations, des portraits plus nuancés de la sexualité. Est-ce que l’industrie mainstream nous observe ? Oui. Elle sait que nous travaillons différemment, avec d’autres processus, d’autres éthiques, et que ça a un impact. Bien sûr, nous restons une infime part du marché global. Mais plus nous existons, plus nous expliquons ce que nous faisons, plus nous influençons, et ça compte.

Mais l’éthique a un coût…

Oui, évidemment. Si je mettais mes films 100 % gratuits en ligne, j’aurais sans doute un public beaucoup plus large. Mais est-ce faisable de manière éthique ? Non. Parce que, pour produire un porno respectueux, il faut payer correctement les équipes et les interprètes. La gratuité n’est pas viable ni souhaitable.

Le « mur de paiement » est la meilleure solution car il sert de barrière pour limiter l’accès aux mineurs. Vous voulez regarder un film pornographique ? Très bien. Mais, au premier clic, vous arrivez sur une version safe for work, sans contenu explicite. Et, si vous voulez aller plus loin, vous devez donner votre carte bleue. Comme ça, on est sûrs que vous êtes un adulte. Et c’est une manière d’apprendre à valoriser ce que vous regardez. Cela reste plus cher que Netflix, en partie à cause des commissions imposées par les sociétés de cartes bancaires, qui considèrent le porno comme une activité à risque. Mais il y a toujours des offres. Et soyons clairs : beaucoup de gens partagent leurs abonnements, ce qui est très bien. Faites-le, profitez de la culture, faites ça entre amis, en collectif ! (Rires.)

Qu’espérez-vous aujourd’hui en termes de régulation ?

La régulation par l’âge est au cœur du débat public, surtout dans les sphères conservatrices. L’idée de base est bonne, et elle rassure le public. Les politiques s’en sont même emparés : ça fait un électorat rassuré. Mais, en réalité, les grands acteurs du porno n’ont aucun mal à contourner ces règles. Pour les indépendants, en revanche, c’est beaucoup plus compliqué, plus coûteux, et ça pose des problèmes évidents de vie privée. Qui a envie de laisser des traces de ce qu’il regarde ? Quid des fuites de données comme on en a vu avec Ashley Madison ?

Résultat, ça ne marche pas vraiment. Les jeunes contournent, ils vont sur d’autres sites, souvent bien pires, beaucoup moins sécurisés. Et, au final, ce sont « les mauvais acteurs » de l’industrie qui profitent de ces mesures. Parce que les ados sont plus doués en technologie que leurs parents : ils savent changer d’IP et contourner les restrictions.

La régulation est-elle donc un écran de fumée politique plutôt qu’une vraie solution ?


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Oui. Ne nous mentons pas : les moins de 18 ans sont intéressés par le sexe. Il faut leur donner une éducation sexuelle digne de ce nom. Leur donner des outils de pensée critique. Leur parler de sexe. Leur parler de porno. Si vous refusez d’avoir ces conversations avec vos enfants, vous n’êtes pas prêt à être parent. Et, si vous ne savez pas comment faire, alors formez-vous, rééduquez-vous.

On a aussi beaucoup effrayé les jeunes avec des discours alarmistes : IST (infections sexuellement transmissibles), grossesses, « addiction au porno » (ce qui est scientifiquement faux – on peut en abuser, mais pas au sens d’une addiction comparable à l’alcool ou au tabac). Pour s’informer, il existe des ressources. Nous avons notamment créé, avec mon mari, le projet pornconversation.org, qui propose aux parents et aux enseignants des guides pour aborder le sujet, des curriculums d’éducation sexuelle inclusive et moderne, pour rattraper ce qu’ils n’ont pas reçu plus jeunes. Car le plus important reste l’éducation et la transmission. Il faut parler de sexe aux jeunes.


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